Lucas Chevalier : « Je suis de Calais, où les trois quarts des gens supportent Lens »

Interview
Arnaud Di Stasio
Publié le 24/10/2024 à 09:30
11 min de lecture
Lucas Chevalier (LOSC).

Devenu une référence du championnat à seulement 22 ans, le gardien lillois Lucas Chevalier impressionne à l'image de son dernier trophée d'homme du match en Ligue des champions face à l'Atlético. Le derby face au RC Lens, sa relation fraternelle avec Mike Maignan, les pénaltys... Entretien.

Tu as intégré le centre de formation du LOSC un peu avant tes 13 ans mais le premier club à t’avoir contacté n’est autre que le RC Lens…
Tout le monde sait que je suis de Calais, un coin où les trois quarts des gens supportent Lens donc j’ai des supporters lensois dans ma famille. Enfant, quand je jouais à l’AS Marck, c’est le RC Lens qui s’est d’abord manifesté et c’est là-bas que j’ai fait mes premiers tests dans un club professionnel. Mais j’étais très jeune, je devais avoir 8-9 ans, donc c’était trop tôt pour partir de la maison et j’ai continué dans mon petit club. Le LOSC s’est manifesté quelques années plus tard et j’ai commencé à faire des tests à Lille, en parallèle de ceux que je continuais à faire à Lens même si ça devenait plus rare. Avec Lens, ça a fini par s’arrêter car ils m’ont fait faire un test de croissance, une radio du poignet, et ils ont estimé que j’allais être trop petit. Pendant ce temps-là, je continuais les détections avec Lille. C’est vrai que je n’étais pas spécialement grand mais après avoir signé au LOSC, j’ai commencé à pousser et je prenais 10 centimètres par an. J’ai toujours apprécié le LOSC mais j’aimais le foot donc quand j’ai eu l’opportunité de faire des tests à Lens, j’ai accepté. Mais quand c’est devenu sérieux avec Lille, c’était encore mieux !

Avec des supporters lensois dans ta famille, comment ça se passe pendant les derbys ?
(Rires) Maintenant, ça va mieux ! Mon frère a joué à Lens des U14 aux U16 mais il est supporter lillois désormais. Pareil pour mes parents, rassurez-vous ! Ils m’ont vu grandir avec le LOSC pendant toutes ces années et c’est le club de leur fils qu’ils supportent ! Ils viennent tout le temps au stade d’ailleurs. Il y a beaucoup de Lensois parmi mes oncles ou mes cousins et malheureusement, ils le restent (rires) ! Je sais qu’il y a deux matchs pendant la saison où je n’ai pas toute la famille derrière moi mais ça reste bon enfant, ça n’a jamais été la guerre !

Certains jeunes joueurs peuvent avoir tendance à s’enflammer mais ceux qui travaillent avec toi disent qu’il n’y a pas de risque avec toi…
C’est sûr que ma cote de popularité a changé entre ma saison en prêt à Valenciennes et aujourd’hui. Maintenant, les fans de foot et une partie du grand public me connaissent alors que lorsque tu joues en Ligue 2 BKT, tu restes au second plan. J’ai aussi gagné en visibilité grâce aux Espoirs mais je sais d’où je viens, d’un petit village du Nord, où les gens sont très simples. Il faut faire sa vie en restant simple. Tout dépend de ton éducation, de ton entourage… Si tout va bien à ce niveau, il n’y a pas de raisons de s’enflammer. Et comme je le disais plus tôt, je travaille avec un préparateur mental qui me permet d’entretenir la confiance que j’ai en moi sans m’enflammer pour autant. Je suis quelqu’un de naturellement confiant sur un terrain. Après, il y a toujours des choses à rectifier pour faire plus et se rapprocher du 100%, c’est pourquoi on aborde des sujets délicats, des situations difficiles que j’ai pu vivre ou que je pourrais vivre un jour sur le terrain afin de mieux appréhender les choses. Quand quelque chose ne va pas, il faut en parler. Peu importe ton âge ou ton expérience, tu peux toujours t’améliorer.

« Il ne faut pas montrer de faiblesses »

On dit que la Ligue 1 Uber Eats requiert davantage de concentration et d’attention, surtout au poste de gardien…
J’ai tout de suite joué de gros matchs puisque j’ai commencé sur la pelouse de l’OM et dès mon 4e match, c’était le derby contre Lens. Il y a aussi eu l’OL et Monaco juste derrière donc j’ai tout de suite été mis dans le bain. Mais pareil, je n’ai rien changé dans ma façon de faire. Je me suis juste dit : « Allez, on y va ! » (rires). Même si je renvoie l’image de quelqu’un de très confiant, très sûr de moi, je suis humain, je ressens des émotions et il se passe toujours des trucs à l’intérieur de moi. Mais c’est important de renvoyer de la confiance. Je suis certainement plus confiant aujourd’hui qu’au début car, une fois que tu joues certains types de matchs, c’est fait, et quand tu repasses par là, c’est plus simple.

Quand tu dis qu’il faut que tu renvoies l’image de quelqu’un de confiant, c’est par rapport au public ou davantage par rapport à tes coéquipiers ?
Les deux. Il ne faut pas montrer de faiblesses. C’est une manière de se rassurer. J'ai toujours fonctionné comme ça et maintenant que je dispute des matchs de Ligue 1 Uber Eats, ça fait encore plus partie de mon boulot.

Même si tu as eu l’habitude d’être surclassé, quand on est un jeune gardien, est-ce qu’on ose tout de suite commander sa défense, notamment quand il y a des centraux d’expérience ?
Il faut oser ! N’importe quel défenseur aime sentir qu’il a quelqu’un de concerné derrière lui. Maintenant, tu commandes ta défense mais c’est sûr que tu fais davantage attention selon qui tu as devant toi. Tu prends peut-être un peu moins les devants et tu t’adaptes car il faut toujours rester dans le respect. Quand tu parles à un José Fonte, qui a tout vécu dans sa carrière, il faut parfois mettre un peu les formes. Mais si ce sont des remarques sur le jeu, des conseils, ça passe très bien. Un gardien doit commander sa défense. Et c’est sûr qu’au fil des matchs, on se sent de plus en plus à l’aise pour le faire. On a davantage de crédit et de légitimité pour conseiller ses coéquipiers.

Et dans l’autre sens, est-ce que ces défenseurs expérimentés te guident beaucoup sur le terrain ?
Oui, ils me parlent quand il y a des temps morts, des coups de pied arrêtés... Ils peuvent me demander de me déplacer d’une certaine façon pour demander la balle, de parler un peu plus pour leur dire ce qu’il se passe dans leur dos par exemple… Quand le ballon est dehors, c’est un moment dont on peut profiter pour échanger.

« Mike Maignan a été comme un grand frère pour moi »

Dans une interview à Ligue2.fr, tu disais que Mike Maignan avait naturellement contribué à ta progression. En quoi ?
J’ai bossé deux ans avec lui et il a été comme un grand frère pour moi. Il aurait pu ne pas me calculer et pourtant, il m'a pris sous son aile. Il était attentif à ce que je faisais à chaque séance. Il était très exigeant avec moi et il n'hésitait pas à me gueuler dessus si je ne faisais pas les choses comme il fallait. Il m’a montré un état d'esprit et une certaine technique de jeu aussi. On reste deux gardiens différents mais on a quand même beaucoup de similitudes dans le jeu, les attitudes… Si on compare des images de Mike et moi, il y a des choses qui se ressemblent. C’est assez logique finalement car je m’identifiais un peu à lui et j’essayais de reproduire certaines choses que je voyais chez lui. J’écoutais ce qu’il me disait et j’essayais d’y ajouter mes qualités. Le fait qu’on soit proches tous les deux nous a permis de créer un lien fort, un lien amical. Ça a beaucoup joué sur ma confiance. Aujourd’hui, il est là où il est et c’est totalement logique. Si j'arrive à suivre ses traces au LOSC, ça promet de belles choses pour mon avenir !

Tu parlais de lien amical avec Mike Maignan. Ça veut dire que vous êtes régulièrement en contact tous les deux ?
Exactement. C'est compliqué de se voir mais on s’écrit et on s’appelle régulièrement. Ça nous arrive même de débriefer mes matchs. Il va me dire ce qui ne lui a pas plu dans ce que j’ai fait avec le LOSC et on va en débattre. Ceux qui l’ont déjà croisé savent que Mike est très cash. S’il doit te dire quelque chose, il ne va pas y aller par quatre chemins ! Il peut me dire : « Ça, ce n’était pas bien, tu aurais dû faire ça ! Concentre-toi ! » Comme un grand frère ! Je sais que c’est pour mon bien. Parfois, il ne me dit même pas bonjour, il me rentre dedans direct (rires). Dans ces cas-là, j’attends un peu avant de lui répondre car je ne veux pas dire de connerie. Mike, c’est un personnage !

Il y a aussi cette anecdote du pénalty stoppé contre Lens en octobre 2022…
(Il coupe) Oui, c’était mon 4e match de Ligue 1 Uber Eats, le 2e à Pierre-Mauroy et surtout, mon premier derby ! La saison précédente, le LOSC avait perdu trois derbys donc il y avait une grosse attente de la part des supporters. Et nous, on était un peu à un tournant car on alternait victoire, défaite, victoire, défaite… On savait qu’un succès contre Lens pouvait enclencher une série. L’après-midi du match, j’étais dans le noir dans ma chambre et Mike m’appelle en FaceTime. J’allume la lumière, dans le gaz, et il me dit : « Je n’avais pas vu que c’était ce soir le derby contre Lens ! Vous n’avez pas le droit à l’erreur, vous avez intérêt à gagner et toi, tu as intérêt à faire ton taf ! ». J’ai essayé de le rassurer et quelques heures plus tard, j’arrête un péno et on gagne 1-0 ! C’était un tournant dans ce match et même dans la saison parce que le résultat d’un derby peut avoir une telle influence sur la dynamique d’un club... Peut-être que si je n'avais pas arrêté ce pénalty de Florian Sotoca, la saison aurait tourné complètement différemment. Je suis content d'avoir réalisé cet arrêt et, après le match, j’ai immédiatement repensé à l’appel de Mike. C’était un signe !

« Les gens voyaient du Mike Maignan en moi »

Mike Maignan est un gardien qui s’est fait une spécialité d’arrêter les pénaltys. Tu lui as déjà demandé conseil ?
Non, on n’en a jamais vraiment parlé. Peut-être qu'il a une technique particulière mais moi, je pense qu’il a surtout réussi à créer une énergie positive autour de lui en arrêtant plusieurs pénaltys tout de suite. Et maintenant, chaque tireur qui se présente face à lui cogite et change sa façon de faire… Il y a de l’intimidation tout simplement. Il a réussi à susciter de la crainte chez les tireurs. Je ne suis pas sûr qu’il ait une technique particulière, c’est davantage un ascendant psychologique qu’il a pris sur les tireurs, un feeling qui fait que le tireur va changer par rapport à ce qu’il fait contre un autre gardien. Tant mieux pour lui ! Quand il y a un pénalty, il y a une grande probabilité que ça finisse en but mais si on peut en sortir un de temps en temps, ça change beaucoup de choses dans un match !

Lors de ta saison en prêt à Valenciennes, tu disais que certains supporters avaient l’impression de voir Mike Maignan quand ils t’observaient…
Oui, à mes débuts, c’était souvent le cas ! Lors de mes premiers matchs, j'avais de l'énergie à revendre parce que je revenais d’une blessure au genou (ménisque). Les gens voyaient du Mike Maignan en moi dans les attitudes, la façon de faire les arrêts, de se déplacer… Des choses que j’avais reprises de Mike. Mais Mike Maignan, c’est Mike Maignan, et moi, je suis Lucas Chevalier. On fait pratiquement la même taille, on a un peu le même gabarit, même s'il est quand même un peu plus costaud - mais c’est normal car il est un peu plus vieux - donc on a le même profil et un peu le même style de jeu. Mais s’il y a des ressemblances et que j’ai appris certaines choses grâce à lui, on a chacun nos qualités.

Quand on a un tel modèle sous les yeux, est-ce qu’il y a un risque de vouloir tout faire comme lui alors qu’on n’a peut-être pas les caractéristiques physiques pour ?
J’ai mangé ce qu'il m'a donné quand il était là. Depuis que Mike est parti, je le regarde avec le Milan de temps en temps mais maintenant, tout dépend de moi. Il m’a aidé quand on était ensemble mais désormais, c’est à moi de tracer mon chemin.

(Entretien initialement publié le 23/10/2023)